Pirmil-Les Isles, Construire la ville-nature

Suite de l’entretien de Matthias TROUILLAUD, Responsable d'opérations à Nantes Métropole Aménagement et administrateur de Novabuild, à l’occasion du lancement des premières consultations en vue de réaliser la Zone d’aménagement concertée de Pirmil-les-Isles.

Coopération

Pierre-Yves LEGRAND : Poursuivons notre inventaire des mots clés de l'opération de Pirmil-les-Isles. 

Il y a un sujet  qui apparaît très fortement dans le projet de Pirmil, c’est celui de la Coopération.

Cela recouvre la méthode que vous avez mise en place et également l’envie de faire ville, la coopération souhaitée entre les habitants demain, les lieux de rencontres, les circulations qui amènent les gens à passer par des espaces où l’on doit pouvoir rencontrer d’autres personnes, etc.

Est-ce que vous pouvez décrire ce que vous mettez en place pour faire ville avec 3 000 habitants qui vont prendre possession d’un nouveau quartier en à peine dix ans ?

Matthias TROUILLAUD : 

L’importance de la question de la coopération entre habitants et usagers, au sens concret, au sens de faire commun, a émergé du travail et de la proposition du cabinet VRAIMENT VRAIMENT. C’est le Cabinet en charge de la participation citoyenne qui a été relancée à l’automne 2021.

Leur propos est que pour avoir un mode de vie agréable et souhaitable, à la hauteur des enjeux de la transition écologique, cela repose sur le fait qu’un quartier doit donner les opportunités pour que les gens puissent faire des choses ensemble et s’entraider. C’est essentiel.

Un exemple concret. Je suis une personne âgée, je ne peux pas toujours faire les courses, je suis un peu fatiguée, la voiture n’est pas à côté. Peut-être faut-il imaginer des systèmes qui permettent de relier les gens entre eux, pour qu’il y ait par exemple de la livraison solidaire dans le quartier. Il y a tout un tas de sujets de cet ordre-là. Cette préoccupation est apparue assez tôt, dans la mesure où la participation citoyenne a eu pour objet de contribuer à la conception ce que serait l’offre de services et les usages dans le quartier, pour que ce soit à la hauteur des enjeux de transition écologique et d’accessibilité sociale.

Cela a abouti à faire un choix assez fort, d’avoir une Association Syndicale Libre (ASL) à l’échelle de l’ensemble du quartier de Basse Isle, qui va fédérer, construire, animer, une offre de services et d’usages, avec une conciergerie, des espaces partagés, et des services qui doivent tourner du point de vue économique. Ce que nous avons imaginé ne doit pas générer des charges écrasantes pour les habitants et les usagers, et doit être caractérisé aussi par une gouvernance qui tienne la route.

Il y aura une AG constitutive de l’ASL, les gens vont voter des services communs, ils vont présenter des motions pour faire des choses en commun dans le quartier. Ce n’est pas rien.

C’est un grand pari, mais au vu des bilans carbone qu’on a faits, on sait que c’est essentiel, pour que les habitants et usagers soient « équipés » pour avoir une vie à la hauteur des enjeux de la transition écologique, sans que ce soit un sacerdoce.

Je voudrais évoquer également la réflexion sur les pieds d’immeubles commerciaux. L’aménageur a dû travailler à un modèle du quartier, en lien avec la concertation habitante, pour avoir une offre commerciale qui tienne la route dès la première phase, pour limiter les besoins d’aller chercher une offre commerciale éloignée. Cela explique également que nous démarrions la première phase avec 100 000 m² et environ 1 000 logements pour qu’une polarité commerciale viable puisse émerger. Ce n’est pas un hasard.

Culture

J’ai trois petites lettres en plus, dont une autre lettre C pour Culture.

C’est une dimension qui existe aussi sur Pirmil-les-Isles, et que vous avez voulu introduire. Est-ce que vous pouvez en dire un mot ?

La vie culturelle, la vie de quartier et la culture, sont des politiques publiques municipales avant tout. C’est un sujet qui irrigue la programmation du projet. Il y a eu dans le temps, entre la création de la ZAC, et le commencement des travaux l’année prochaine, une expérience culturelle d’envergure métropolitaine qui s’est appelée Transfert, qui a abordé ces sujets de culture dans la ville entre autres.

Nous avons traduit cette volonté d’une dimension culturelle à introduire dans le quartier par un travail assez fin sur des rez-de-chaussée qui sont appropriables par des initiatives qui peuvent aussi être d’ordre culturel. La Halle de services qui est un objet issu de la concertation, est un espace où on pourrait potentiellement faire plein de choses, dans lequel la culture pourra trouver sa place, sans être un équipement culturel à part entière.

Accessibilité

Parlons du A d’Accessibilité maintenant.

Ce qui apparait en filigrane dans vos documents, c’est une volonté de s’approcher du « coût global », intégrant investissement et fonctionnement, sans que vous en donniez le nom explicitement. Pour autant, vous demandez aux futurs opérateurs, dans le cahier de prescription générale, de donner une sorte de garantie de coût à long terme pour les futurs occupants, notamment les coûts d’entretien qui doivent être maîtrisés. Je crois que ce n’est quand même pas très habituel de raisonner comme cela.

Oui. C’est quelque chose qui commence à venir un peu de loin maintenant.

Personnellement, je me méfie des récits dans les opérations d’aménagement, où l’on raconte une belle histoire sur un quartier qui va bien fonctionner, avec des espaces communs, des choses comme ça. Le récit permet de se « projeter » mais il ne suffit pas.

Si le beau récit aboutit à des erreurs de « design », ou bien à un reste à vivre qui est insupportable, le récit s’écroule. L’opération d’aménagement, on dit souvent que c’est une vaste péréquation, c’est surtout un fil que l’on tend entre une capacité contributive de la collectivité (combien la Métropole met sur la table pour rendre Pirmil-les-Isles accessible) et les capacités des habitants et usagers à vivre et à bien vivre dans ce quartier-là.

Cela veut dire qu’on va faire tourner des bilans financiers prévisionnels, on va par exemple s’intéresser au montant des charges des habitants, et cela devra être très peu pour que ce soit durable et acceptable. On va essayer d’appréhender ça de manière très fine, pour ne pas se retrouver face à des impasses ou à des quartiers qui sont très bien au début, et qui au bout de trois-quatre ans ont perdu cette dynamique, avec tout un tas de renoncements, parce que ce n’est juste pas tolérable en termes de coût.

Innovation

Toujours dans notre abécédaire, j’aimerais aborder maintenant le I de l’Innovation.

Dans les documents que vous avez édités, vous incitez les futurs opérateurs qui vont construire des bâtiments, à poursuivre le travail d’innovation avec les filières après la construction de l’ouvrage et même à le partager avec les concurrents qui auront d’autres lots.

Si j’étais un peu provocateur, je vous dirais que c’est impossible et que vous n’allez jamais y arriver !

Je ne sais pas ! En fait, on n’est jamais complètement dans son coin quand on travaille sur ces dossiers. Je pense que les opérateurs immobiliers, bailleurs, promoteurs, ne sont pas complètement dans leur coin non plus. Les pratiques dans le monde des bailleurs sociaux ou des coopératives sont des pratiques qui sont assez partagées. Ces gens-là s’échangent des trucs et astuces régulièrement.

C’est vrai !

Voilà. Les promoteurs aussi, parfois, ils se marient entre eux, ou ils se marient avec des bailleurs, des coopératives. Ils ont des habitudes de travail qui commencent à se tisser. C’est ce qu’on appelle un peu les standards partagés. Il est possible, au sein de filières de se mettre d’accord sur des pratiques communes, des valeurs communes, avancer ensemble sur un socle commun, ce qui n’empêche pas certains d’aller encore plus loin et de continuer à se différencier.

Vu l’urgence écologique que représente le réchauffement climatique, garder la totalité de « l’innovation » pour soi, est un luxe qu’on n’a pas vraiment le temps de s’offrir. Je suis bien conscient qu’il faut payer l’innovation par l’exclusivité sur la capacité à exploiter dans le temps les revenus de cette innovation. Mais il y a tout un domaine, notamment dans les modes constructifs (il suffit de penser aux règles professionnelles) qui sont quasiment, voire clairement de l’open source. Il faut bien prononcer le mot !

Dans des modalités qui restent à définir et qui vont être retravaillées notamment avec notre AMO Ingénéco Technologies, avec la Métropole et avec l’État qui soutient le projet via France 2030, la question du retour d’expérience se pose et se partage. Le fait que la collectivité mette de l’argent sur la table pour rendre le projet possible, avec une subvention publique de l’ordre de 50 millions d’euros au niveau du pied de bilan de l’opération d’aménagement, implique potentiellement un retour qualitatif, un retour en termes de partage d’expériences de la part des opérateurs.

Novabuild

A l’image de ce que nous faisons avec d’autres aménageurs, on peut imaginer positionner Novabuild pour porter tout ou partie de ces retours d’expérience.

Cela me permet de vous interroger sur ce que vous attendez de Novabuild. Le 1er octobre 2019, lors du lancement de Pirmil-les-Isles devant les professionnels, vous nous avez présenté comme étant « le garant du pas-de-côté ». Qu’est-ce que vous entendiez par-là ?

Je pense que le retour d’expérience, la capitalisation, la diffusion, est un sujet que l’on met rarement en haut de la pile. Vous pouvez nous aider à avoir continuellement cette question à l’esprit, de façon à continuer de progresser tout au long des phases du projet. Le cahier des charges, tel qu’il est formulé à cette étape, est déjà une forme de retour d’expérience.

Ce qui nous intéresse aussi à Novabuild, c’est son échelle régionale. Il y a d’autres aménageurs, il y a d’autres opérateurs sur le territoire. C’est l’occasion d’échanger des « trucs et astuces », de montrer comment un sujet a été abordé par un aménageur ailleurs, différemment, avec des choses auxquelles on n’aurait pas pensé. Il peut y avoir un essaimage des bonnes recettes.

Et puis, il y a une question du passage à l’échelle de la systématisation, dans tout ce qui est fait par tous, partout, sur tous les terrains, sans se limiter aux opérations des aménageurs publics, qui sont en termes de volume assez marginales en définitive. Là-dessus, je pense que Novabuild a un rôle à jouer aussi.

Préparation

En lisant les documents de consultation, je me demandais quelle était la part qui existait déjà dans l’intention initiale, et la part qui résultait du sourçage dont vous avez parlé tout à l’heure.

En quoi, les quatre années que vous avez passées ont fait changer ce que vous aviez imaginé au départ ?

C’est effectivement assez intéressant de regarder les plans en 2018, au moment où on créait la ZAC ; en 2019, quand on commençait à attaquer la séquence des pas-de-côté ; en septembre 2021 quand on relançait la concertation ; et ce qu’on demande à mi 2022.

Les différences sont considérables.

La prise en compte de la nature en ville et du paysage a métamorphosé le projet. Le sourçage a modifié totalement la manière dont on va mettre en œuvre le projet.

Pour prendre un exemple, la fabrique de la terre fertile, si on n’avait pas eu les démarches de sourçage, on aurait peut-être fait comme d’habitude, avec des arbres qui font 3 000 kilomètres avant d’être plantés. Grâce au sourçage et au travail sur les standards partagés avec la filière du végétal, on a modifié notre process. C’est concret. On peut le montrer.

Autre exemple, le stationnement et le concept de mobilité. On ne serait peut-être pas allé aussi loin si on n’avait par exemple pas discuté à fond avec des acteurs de l’exploitation des parkings, ou des auto-partageurs. On a clairement modifié certaines parties de l’aménagement.

Pour ce qui est des filières constructives, c’est clair et net, le fléchage des modes constructifs vient de la découverte avec les filières et de leurs caractéristiques.

Qu’est-ce que vous ressentez, vous, personnellement, à l’issue de ces années de préparation du projet de Pirmil-les-Isles ?

Nous sommes à une phase critique du projet, au sens où on se met en situation de passer la balle.

Là, on fait la passe. On fait la passe, mais elle ne vient pas de nulle part.

Depuis un certain temps, on est sur le même terrain, on va dire que c’est un terrain de rugby sur lequel on est en train d’échanger le ballon ovale depuis 2019. Les professionnels savent ce qu’on attend d’eux, ils ont été associés, ils ont été là, ils ont suivi les choses, et chacun s’est entraîné depuis un certain temps.

Et maintenant, nous allons choisir les joueurs qui vont être retenus sur le terrain, certains vont rester sur le banc de touche, mais ils pourront venir sur d’autres phases, participer à d’autres matchs.

On a diminué les incertitudes ensemble, c’était aussi une forme d’accord. Avec les promoteurs, les bailleurs et les coopératives, on a aussi fixé ensemble l’ambition, on leur a dit : « Vous êtes bien d’accord ? Ça vous paraît jouable ? ».

Et maintenant, il va falloir jouer le jeu.

Est-ce que dans cette période de préparation vous avez eu ce qu’on appelle « un moment de ravissement », un moment où il y a eu une émotion forte, un plaisir, quelque chose de particulier ?

Je pense que l’inauguration du jardin-test de la cale Aubin, qui est le premier morceau du futur parc fluvial des Isles, pour moi, ça a été un beau moment.

Il y a aussi eu la restitution aux élus du travail de concertation avec les habitants. On s’est aperçu dans cette concertation qu’on pensait demander la « lune » à de futurs habitants et usagers, en termes d’usage de la voiture par exemple, et on s’aperçoit qu’il y a pleins de gens qui sont en avance sur ces politiques publiques. Il y a des gens qui sont prêts à changer en termes de mode de vie, à aller plus loin et même, à nous tirer vers l’avant dans l’aménagement public.

Ce que vous avez appris pendant cette période ? 

On a appris énormément. Parlons de la méthode. Il faut savoir que la méthode qui est mise en œuvre ne vient pas de recettes préalables. On l’a co-construite au fur et à mesure. C’est une démarche qui est fondée sur l’écoute. Sourcer, c’est écouter. Je crois être en capacité aujourd’hui de la définir, en revanche, au moment où on a commencé à la mettre en œuvre, ce n’était pas si évident.

Je vous remercie.

Propos recueillis le 28 juillet 2022 par Pierre-Yves LEGRAND, Directeur de Novabuild