Pirmil-Les Isles, Construire la ville-nature

Suite de l’entretien de Matthias TROUILLAUD, Responsable d'opérations à Nantes Métropole Aménagement et administrateur de Novabuild, à l’occasion du lancement des premières consultations en vue de réaliser la Zone d’aménagement concertée de Pirmil-les-Isles.

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Adaptation

Pierre-Yves LEGRAND : Passons maintenant à l’adaptation au dérèglement climatique si vous le voulez bien, et en particulier aux sujets du confort d’été et du risque inondations. Quel type de réponses apportez-vous ?

Matthias TROUILLAUD :

Le régime climatique change fortement. Nous sommes confrontés à beaucoup plus de canicules, sécheresses, à des épisodes pluvieux intenses, etc. Cela va empirer.

Pour autant, quand on construit, la question qu’on a à l’esprit reste celle de l’énergie, et du chauffage en hiver. Pour ma part, je crois que la question énergétique, c’est déjà, et ce sera de plus en plus : « comment on fait en été pour ne pas cuire ? ».

Dans cet esprit, je vais parler d’un aspect du projet qui est très dimensionnant et différenciant par rapport à ce qu’on met en œuvre « d’habitude ».

Nous avons conçu le projet pour garantir à tout un chacun sur les espaces publics, de l’ombre et de la fraîcheur.

Le meilleur véhicule pour cela, c’est l’arbre.

Le travail de la paysagiste Sylvanie GREE de l’agence D'ICI LA paysages & territoires, au sein de l’équipe de maîtrise d’œuvre, a été fondateur.

Dès le plan d’aménagement, on a commencé à placer les arbres au bon niveau, par rapport à la contrainte climatique et à l’ambiance climatique future. Ce qui s’est traduit par un plan d’aménagement prévoyant la plantation prévisionnelle d’environ 50 000 arbres. C’est un ratio qui est 14 fois plus élevé que ce que l’on constate habituellement dans les rues de Nantes.

Ce choix a amené à bousculer un grand nombre de sujets, qui à première vue ont peu à voir avec les arbres. En l’occurrence, cela nous a amené à discuter avec les pompiers sur l’accessibilité des façades au prisme de l’arbre. Cela nous a amené à discuter de la collecte des déchets et à faire le choix d’une collecte par bacs, et non par containers enterrés, parce que la collecte par bacs a pour défaut d’avoir des camions qui ont des grues, et dans le périmètre de la grue, pour ramasser les containers, il ne faut pas planter d’arbres. Cela nous a amené aussi à faire le choix de parkings en silo regroupé plutôt qu’en sous-sol de chaque bâtiment.

Le fait qu’on a ainsi beaucoup plus de pleine terre que dans un projet classique permet aussi de planter un maximum d’arbres. Le résultat est qu’on a une forme d’ombrage garanti, assez tôt dans le projet, parce que le mode de plantation a été adapté pour qu’assez vite, en l’espace de quelques années, on ait de l’ombrage sur les espaces publics avoisinants.

Ça a métamorphosé le projet.

Au même titre que sur le carbone, est-ce que sur la question du confort d’été vous visez une température de référence maximale ? Est-ce que vous vous êtes dit : « On vise 2050-2070, et il faut que les appartements soient vivables durant les pics de chaleur en 2070 » ?

Dans le cahier des charges, il y a des éléments de preuve dans le bâtiment qui sont à présenter, avec une simulation qui va bien et des hypothèses météo à long terme. On demandera des simulations pour les logements les plus en difficulté. En ce qui concerne le niveau de référence, il y a des éléments qui seront précisés d’ici la fin de l’année.

En ce qui concerne le volet « submersion », on a l’impression, à la lecture des documents de consultation, que vous voulez que les gens s’habituent à ce qu’il y ait des inondations.

Oui, il y a un peu de ça. Mais pour tempérer ce qu’il pourrait y avoir d’inquiétant dans le propos, il faut préciser que le projet est adapté à un risque horizon 2100.

Le risque inondation sur le secteur n’est pas un risque d’inondation rapide, mortel, comme on l’a dans d’autres régions, c’est quelque chose que l’on peut voir venir. Il faut aussi se dire que ce risque-là, c’est plus un risque d’avoir à évacuer des personnes et des biens, de manière coûteuse. C’est un vrai risque, d’avoir des dégâts sur les biens, et c’est un risque auquel on s’adapte. Les habitants des villages de Trentemoult, de Basse Île, ou même ceux de Rezé en général, ont une certaine culture d’adaptation aux variations de la Loire. Il suffit de regarder les maisons surélevées à Trentemoult.

Le choix qui est fait consiste en réalité à reculer par rapport à la Loire pour que les inondations potentielles aient le moins d’impact possible sur la vie de gens. Une partie de l’aménagement, avec la création d’un parc fluvial inondable et la mise en place des berges inondables, consiste avec cette zone « tampon » à un rétablissement du régime naturel de la Loire, pour qu’il n’y ait justement pas de problème.

Biodiversité

Je vous propose d’aborder maintenant le volet du projet sur la biodiversité. La régénération des sols est un objet à part entière à Pirmil-Les Isles, j’imagine que la restauration d’un écosystème a fait l’objet de choix de votre part.

Absolument. On va dire que le parti pris paysager a pour conséquence d’accroître les surfaces de pleine terre par rapport à la situation initiale, alors même que l'on va construire de l’ordre de 300 000 m².

C’est assez paradoxal et assez fort de parvenir à faire ça. Cela consiste à créer en cœur de métropole 1 hectare de zones humides avec le parc fluvial que j’évoquais tout à l’heure.

Pirmil-les-Isles est un projet urbain, un projet paysager, un projet de cadre de vie, et un projet de restauration écologique.

La compétence que met en œuvre le bureau d’étude BIOTEC, aux côtés de Sylvanie GREE (D’ICI LA) dans l’équipe de maîtrise d’œuvre, sont les mêmes que celles qu’on utilise pour restaurer des cours d’eau dans des parcs nationaux.

Pour résumer en forme de boutade, je dirais : « Pirmil-les-Isles, c’est une opération pour les humains, mais aussi pour les hérissons ! ». Cela se traduit par des choses extrêmement concrètes dans le cahier des charges autour du passage de la petite faune, de l’éclairage, etc.

Biosourcés

Je vous propose maintenant d’aborder le projet sous l’angle des biosourcés, et des filières. C’est un des points forts du projet, en tout cas, emblématique, d’imposer des modes constructifs îlot par îlot, avec au rez-de-chaussée du béton pour les raisons qu’on a évoqué à l’instant, et dans les étages, d’imposer systématiquement le recours aux matériaux biosourcés.

Comment vous êtes arrivés à ce constat-là, et est-ce que c’est faisable à ce volume-là ? C’est un des plus importants projets en biosourcé de France aujourd’hui, comment l’effet de volume a-t-il été pris en compte ?

Pour répondre à votre question, on va revenir à la question originelle. La question posée début 2017 par Frédéric BONNET, en dialogue avec les élus, était « comment faire pour que cette opération d’aménagement soit l’occasion pour les acteurs de territoire de progresser ? ». Pour nous, progresser, cela voulait dire « être en mesure de créer une ville à la hauteur des enjeux de transition écologique ».

Au début 2017, pour répondre à la question, on n’avait pas la méthode. Le process habituel de l’aménageur, on va le qualifier d’un peu « linéaire » avec un cahier des charges, où l’on pose des objectifs, et on s’attend à ce que les acteurs répondent. Cela amène parfois à des déceptions, voire à un processus de « déshabillage » du projet.

Pour échapper à ce risque, nous avons mis en place une méthode qu’on a appelé le sourçage. Elle a consisté, pour le résumer en une phrase, à faire en parallèle du plan guide et de la mise au point des cahiers des charges, une consultation et un partage des hypothèses avec un très grand nombre d’acteurs : les opérateurs immobiliers, les entreprises de construction, les fournisseurs de matériaux, les architectes, l’ingénierie, les bureaux d’études, dans d’autres domaines, des opérateurs du service, etc. Ce travail de sourçage a été fait à une échelle jamais réalisée jusqu’à présent.

Ateliers de préparation du projet Pirmil-les-Isles : systèmes constructifs et filières - sols et végétal - mobilité et services

Avec l’équipe de maîtrise d’œuvre et l’appui méthodologique de l’agence ZEFCO, nous avons rencontré à titre individuel une centaine d’acteurs, et à titre collectif, 60 à 80 personnes mobilisées par Novabuild au cours de 3 sessions d’ateliers.

Pour conclure ce processus, nous avons mis en place des focus group où ont été pré-testées des hypothèses de cahiers des charges, en discutant avec des groupes d’opérateurs immobiliers, de bailleurs, des coopératives, et des promoteurs.

L’ensemble du processus a fait l’objet de compte-rendu détaillés, avec l’appui de Novabuild, pour garder une trace et ouvrir le partage au plus grand nombre.

En parallèle, on a ouvert dès 2017 aux têtes de filières une « ligne de téléphone » avec un contact très suivi ouvert à la filière bois, aux autres filières biosourcés, à la terre et au réemploi. Avec ce service, nous avions une idée en tête : « comment faire profiter aux filières de ce projet pour les faire avancer ? ».

Tout le travail de sourçage nous a permis de découvrir nettement une chose assez particulière. C’est que pour y arriver, il ne faut pas se disperser, il faut cibler ce sur quoi on va travailler. Ce qui nous a amené à cibler les systèmes constructifs, lots par lots.

Pour réaliser ce ciblage, on a intégré quatre critères. Un critère carbone, on en a parlé tout à l’heure.

Le deuxième élément d’arbitrage, c’est la « reconnaissance technico-réglementaire », une notion large développée par Ingénéco Technologies, véritable « fil d’ariane » qui englobe les questions d’assurance, de sécurité incendie, d’avis des contrôleurs techniques, etc. Si ce fil est bien suivi, en dialogue avec les filières, et le moment venu avec les opérateurs et leurs équipes, l’innovation sur le projet sera maîtrisée. Lorsque vous livrez un bâtiment, il faut bien qu’il soit assuré. Pour pouvoir mettre en œuvre des procédés constructifs sur un marché, il faut pour des donneurs d’ordres, que les procédés préconisés soient assurables. Dans notre sourçage, on s’est aperçu qu’il y a peut-être certains procédés qui n’étaient pas très matures et qui étaient peut-être risqués à mettre en œuvre en termes de faisabilité pour des immeubles au-delà du R+4. 

Le troisième critère, c’est le coût. En dialogue avec les opérateurs, notamment les bailleurs et les coopératives, nous avons fait des expertises assez poussées pour comparer les valeurs entre procédés, et isolants divers. Et il y a des écarts de valeurs, en fonction de la maturité des filières et des produits qu’on met en œuvre. Nous avons également modélisé les bilans des opérateurs qui seraient appelés à intervenir sur la première phase du projet (les bilans de promoteurs, de bailleurs sociaux, des coopératives) pour voir si les prescriptions avaient une chance de ne pas heurter trop fortement les objectifs de sortie économique des opérations et d’accessibilité sociale.

Et le dernier critère, c’est un critère filière. Nous nous sommes demandé : « est-ce que ça fait avancer la filière ? Est-ce que ça permet pour une filière d’amortir des outils économiques et industriels ? Est-ce que Pirmil-Les Isles ouvrira l’opportunité de développer le procédé ailleurs et dans d’autres contextes ? » L’analyse a été faite de manière très empirique, en réunissant à intervalle régulier les têtes de filières.

Ces quatre critères ont abouti à ce resserrage et à cette distribution des modes constructifs, lot par lot, qui fait qu’il y a une feuille de route extrêmement claire sur les modes constructifs, sur la première phase du projet.

En résumé, vous vous êtes donné les moyens que les bâtiments qui vont émerger soient réellement avec les modes constructifs que vous préconisez.

Oui. On a cherché à diminuer les incertitudes.

Une des missions de l’aménageur, de mon point de vue, c’est tant bien que mal, de diminuer les incertitudes. L’externalité positive que nous offrons aux opérateurs qui répondront à notre consultation, c’est d’avoir essayé de lever pour eux un maximum de lièvres. Une opération d’aménagement, ce n’est pas de la philosophie, ce sont des incertitudes qui sont levées.

Circularité

Dans les objectifs (A.B.C)² de Novabuild, je vous propose de passer à la lettre C pour évoquer la circularité, avec le réemploi comme réponse à l’épuisement des ressources.

Au départ, on avait compris le projet de Pirmil-Les Isles comme une opération qui allait permettre le réemploi. Et au bout du compte, on ne le voit pas beaucoup apparaître. Peut-être que vous n’avez pas réussi à diminuer les incertitudes sur ce sujet-là ?

Oui, il y a une part de ça, mais ça dépend de quel objet on parle.

On a travaillé assez fortement la composante réemploi sur le domaine des espaces publics.

L’impact essentiel d’une opération d’aménagement en général, c’est le mouvement au sol, c’est aussi la terre végétale nécessaire pour planter des arbres.

Nous allons à Pirmil-les-Isles mettre en œuvre un process qui est différent de ce qu’on fait d’habitude. La terre fertile du projet a pour origine, pour l’essentiel, les sables du site qu’on a abondés. Et ça, ce n’est pas rien d’avoir réussi à faire ça. L’impact majeur de ce choix n’est pas seulement sur le carbone (en limitant le nombre de rotations de camion transportant de la terre d’un point à un autre), mais aussi sur la consommation d’une ressource qui est une ressource finie, la terre fertile. On pense qu’on a fait avancer l’aménagement public sur ce point.

En ce qui concerne le réemploi dans le bâtiment. La méthode dont j’ai parlé auparavant, a fait qu’on a constaté que la filière de réemploi sur la métropole de Nantes, n’est peut-être pas aujourd’hui aussi avancée que les autres filières biosourcées. Au vu du temps imparti, nous n’avons pas réussi à aboutir à quelque chose de certain en termes de préconisations pour un mode de réemploi plutôt qu’un autre.

Nous faisons donc appel à la créativité des opérateurs, tout en sachant que c’est aussi une opportunité pour eux de se différencier, dans la mesure où les modes constructifs sont plutôt « fléchés ».