Pirmil-Les Isles, Construire la ville-nature

Novabuild est partenaire du projet d’aménagement urbain de Pirmil-les Isles depuis que celui-ci a été lauréat de l’Appel à Manifestation d’Intérêt de l’ADEME « Économie circulaire et urbanisme » en 2017.

Si nous avons voulu nous investir dans ce projet emblématique du sud de l’agglomération nantaise, c’est qu’il a été fait le choix de métamorphoser ce territoire en faisant de la nature et du paysage le levier du renouvellement du site. De fait, ce projet qui arrive dans sa première phase de consultations, se propose de faire faire à l’ensemble de la profession, à commencer par l’aménageur lui-même, un pas-de-côté de géant sur un grand nombre de sujets d’intérêt pour les adhérents de Novabuild : Atténuation et Adaptation au dérèglement climatique, Biodiversité, Matériaux biosourcés, Circularité, Coopération, Innovation, etc.

Aux côtés de l’aménageur Nantes Métropole Aménagement, et de l’équipe de maîtrise d’œuvre, Novabuild a mis à disposition son centre de ressources et de veille sur la construction durable, a proposé d’apporter son expertise NOVA’smart dans l’animation d’ateliers d’intelligence collective, et se positionne pour assurer demain des retours d’expérience permettant de poursuivre la montée en compétence de toute la filière.

Matthias TROUILLAUD, Responsable d'opérations à Nantes Métropole Aménagement et administrateur de Novabuild, a accepté de répondre à l’interview du mois de Novabuild, à l’occasion du lancement des premières consultations en vue de réaliser la Zone d’aménagement concertée de Pirmil-les-Isles. Bonne lecture, et bonne découverte !

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Pierre-Yves LEGRAND : Bonjour Matthias TROUILLAUD. Vous êtes Responsable d'opérations à Nantes Métropole Aménagement et administrateur de Novabuild depuis 2018.

Vous avez accepté de répondre à l’interview du mois de Novabuild pour évoquer le projet d’aménagement de Pirmil-les-Isles dans le sud de Nantes. Ce projet entre désormais dans une phase opérationnelle, puisque vous avez lancé les premières consultations en juillet 2022.

Pour démarrer cet entretien, j’avais envie de vous demander de revenir sur le contexte du projet, le contexte urbain, climatique, ou politique.

Commençons donc par le contexte urbain. Pouvez-vous nous dire où se situe ce territoire qu’on appelle Pirmil-Les Isles et ce qu’il a de particulier ?

Contexte

Matthias TROUILLAUD :

Je remercie Novabuild de me donner l’occasion de revenir sur ce projet urbain important pour la métropole nantaise.

Pirmil-Les Isles est un périmètre sur lequel il y a une opération d’aménagement, qui est situé à cheval sur deux communes de la Métropole de Nantes, Nantes et Rezé, et une partie plus marginale sur la commune de Bouguenais.

Formellement, Pirmil-Les Isles est une concession d’aménagement d’environ 200 hectares située au sud de la Loire, coincée si l’on peut dire, entre la Loire et la route de Pornic, route pénétrante majeure du sud de l’agglomération.

Il s’agit d’un territoire que l’on va qualifier de composite. Il a été profondément métamorphosé par l’homme au cours du siècle dernier et dont les racines urbaines remontent bien au-delà, puisqu’on se situe en proximité du port gallo-romain de Rezé/Ratiatum. A cette époque, la Loire était plus large, et était composée de plusieurs bras. Le territoire de Pirmil-Les Isles était lui-même composé d’îles, souvent submergées, sur lesquelles une intervention beaucoup plus lourde a démarré partir du XIXème et du XXème siècle.

Des entreprises de remblaiement qui sont intervenues essentiellement après la Seconde Guerre mondiale avec du sable prélevé dans la Loire, qui a été versé par-dessus ces prairies inondables pour créer de grandes plateformes destinées à des fonctions servantes de la ville : les anciens abattoirs de Nantes, la zone d’activités de l’île Macé, le grand hôpital privé Confluent, etc.

Pour être complet, il nous faut évoquer l’ancien quartier de faubourgs datant du Moyen-âge qui a été bouleversé après les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. De grandes infrastructures ont pris la place de ces quartiers historiques, avec la rue Dos-d’Ane qui est très large, des parkings relais et l’arrivée du tramway dans les années 90.

Ce territoire composite s’est donc « installé » derrière des tissus plus anciens que sont Trentemoult, Norkiouse, Haute Île, Basse Île, qui sont des villages historiques de pêcheurs et d’ouvriers en bord de Loire.

Au-delà de ce contexte historique et urbain, un mot sur le projet urbain ?

Les communes de Nantes et de Rezé ainsi que la Métropole, ont depuis longtemps des projets sur ce territoire, notamment sur Pirmil-Saint-Jacques. Ce territoire a fait l’objet de projets dès les années 80, mais aussi sur le site des anciens abattoirs municipaux qui ont fermé dans les années 90.

L’idée était de refaire un quartier de ville. Des mandats d’étude ont été confiés à notre société d’aménagement, Nantes Métropole Aménagement dès les années 2000, qui ont été relancés en 2010.

Au final, après les études et la concertation préalable, la ZAC Pirmil - Les Isles a été créée en juin 2018. Comprise dans le périmètre de la concession d’aménagement (200 hectares) ses deux périmètres – Basse Île à Rezé, Pirmil Saint-Jacques à Nantes – représentent sur 58 hectares près de 300 000 m² SP à construire dont 3300 logements, près de 100 000 m² d’activités, bureaux et commerces, et des équipements publics.

Pouvez-vous décrire comment vous prenez en compte la question climatique dans ce projet urbain ?

La préoccupation climatique était déjà à l’esprit des élus, des urbanistes, et des aménageurs qui sont intervenus sur ce territoire pour penser le futur quartier. Dès 2010, une mission a été confiée à Frédéric BONNET de l’agence Obras, pour déterminer les contours de cette opération d’aménagement. Frédéric BONNET est grand prix d’urbanisme 2014, et a porté la question de la production avec les ressources locales, notamment à la Biennale de Venise 2016 avec l’exposition Nouvelles Richesses.

Si l’on veut faire la genèse de la progression de la préoccupation climatique comme enjeu essentiel sur ce territoire, on doit évoquer avant tout la prégnance du risque inondations. Au début des années 2010, l’État a révisé le plan de prévention du risque inondation pour tenir compte notamment des effets du réchauffement climatique et l’hypothèse quant à l’élévation du niveau de la mer et de son impact local. On a dû adapter notre projet à ce risque. Pour nous, aménageurs de ce territoire particulier, ce sont donc des conséquences extrêmement concrètes du réchauffement climatique qui ont été notre première préoccupation avec les risques de submersion marine du fait l’élévation du niveau de la mer.

A partir de là, aux alentours de début 2017, alors qu’on bouclait le dossier de création de ZAC qui a été créée ensuite en 2018, on a défendu une commande aux ambitions environnementales particulièrement élevées. Avec un triple prisme – transition écologique, accessibilité sociale, effet « filières » – qui a fait que les approches des élus, des services, de l’aménageur et de l’urbaniste, ont convergé.

Justement, pouvez-vous décrire la commande que vous avez reçue et la façon dont vous y répondez.

Il y a d’une certaine façon trois ordres de commande.

Côté ville de Rezé, depuis longtemps, très longtemps, même avant les années 2000, la route de Pornic et les zones d’activités en berge de Loire, sont vécues comme une forme de traumatisme. La question est alors de relier Rezé à la Loire.

Du côté de Nantes, c’est aussi une forme de traumatisme avec la disparition des faubourgs historiques bombardés pendant la Seconde Guerre mondiale, et une séparation de Nantes Sud de son rapport à la Loire et à la Sèvre. De là émerge une idée exprimée de manière très diverse par différents élus, de relier Nantes et Rezé à la Loire, à la Sèvre, etc.

Cette idée vient rejoindre les grands objectifs métropolitains d’accessibilité sociale, de facilitation de l’accès au logement, de production d’un cadre de vie agréable et accessible, de création de zones d’activités économiques, qui constituent la commande « historique » des aménagements sur la métropole structurée autour de l’idée d’une ville accessible à tous. Pirmil les Isles doit être un quartier accessible à tous.

Et puis, dans un contexte climatique qui se dégrade, avec l’adoption du plan Climat, Air, Énergie territorial et d’un nouveau Plan local de l’Urbanisme métropolitain, tenir compte de la contrainte écologique est devenue une commande à part entière.

C’est sur cette base que la commande a été incarnée par les maires successifs de la Ville de Rezé et de leurs équipes, avec des continuités sociales et écologiques, et de la Ville de Nantes avec une grande constance de l’action publique depuis pas mal d’années.

Consultation

Merci pour cette introduction qui replace clairement les enjeux.

Peut-on évoquer maintenant l’actualité ? Pourquoi est-ce que l’on parle maintenant de Pirmil-Les Isles ?

On en parle parce que nous avons franchi une étape dans l’atterrissage de l’opération.

Mais on a déjà beaucoup parlé de Pirmil-Les Isles, notamment fin 2019, où le récit et l’ambition ont été clairement énoncés.

La réunion publique organisée en septembre 2019 auprès des habitants, a été assez marquante. Pour la première fois, l’équipe de maîtrise d’œuvre, l’aménageur, les élus, ont présenté l’opération d’aménagement autour de cette notion de « pas de côté », souhaitant être véritablement et concrètement à la hauteur des enjeux de la transition écologique et de l’accessibilité sociale.

Présentation du projet Pirmil-les-Isles aux acteurs de l'immobilier le 1er octobre 2019

Et cela a été dit aussi très fortement aux professionnels le 1er octobre 2019, lors d’une séquence sur le site lui-même. 400 professionnels étaient présents auxquels nous avons transmis le message suivant : « Voilà notre ambition écologique et sociale, ça aboutira concrètement dans des marchés où il y aura des opportunités de briller et de montrer ce que savez faire, à l’occasion d’espaces publics à produire ou d’opérations de construction d’habitats ou d’offres de services, dont certains d’entre vous seront les acteurs concrets dans le quartier. »

Tout cela s’est passé fin 2019. On était à la veille de l’explosion pandémique. Par la suite, nous avons travaillé, travaillé même un peu plus longtemps qu’à l’habitude, en allant beaucoup plus loin que d’habitude sur certains sujets. Cela a créé de la part des professionnels beaucoup d’attente et une forme d’impatience, sans doute aussi parce qu’ils ont été pas mal associés à cette démarche de genèse opérationnelle.

Et là, enfin, ça y est, c’est concret, l’aménageur met sur le marché des lots à bâtir.

Pour ce qui concerne les espaces publics, on sera aussi dans une démarche d’appel d’offres au début de l’année prochaine avec des travaux dès l’été 2023.

Ce qui veut dire que des choses qui étaient de l’ordre d’idées et de concepts vont désormais avoir une traduction tangible.

Atténuation

Je vais vous proposer maintenant de décrire le projet Pirmil les Isles à partir des objectifs (A.B.C)² de Novabuild pour : Atténuation, Adaptation, Biodiversité, Biosourcés, Circularité et Coopération.

Et, pour commencer, l’atténuation du dérèglement climatique. Quelles sont les réponses que vous avez intégrées dans les documents de consultation pour répondre à cet objectif ? On le sait depuis la COP 21, nous devons diviser par deux nos émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030, et diviser à nouveau par 2 entre 2030 et 2050.

En quoi vos préconisations répondent à cet enjeu d’atténuation du dérèglement climatique ?

L’opération y répond clairement, au sens où c’est la première opération d’aménagement de Nantes Métropole Aménagement qui fait l’objet d’un bilan carbone dès l’amont et de façon systématique.

On n’avait pas mis en œuvre ce type de méthode jusqu’à présent. Ce qui nous y a poussés, c’est à la fois les fondamentaux du projet, mais c’est aussi la réforme des études d’impacts. Quand on lit l’article R122-5 du Code de l’Environnement, que tout le monde devrait lire en fait, il y a une attente très précise sur les éléments qui sont à analyser pour les études d’impact sur le climat. Il a donc fallu assez tôt se poser ces questions-là, dès l’étude d’impact de la ZAC.

Plus fondamentalement, en ce qui concerne l’atténuation du dérèglement climatique, nous avons voulu mettre en place un pilier du projet sous la forme d’une métrique carbone, métrique sur laquelle on va débattre et tenter de se mettre d’accord avec les acteurs aval de la chaîne de valeur.

Cela implique un bilan carbone systématique. Ce bilan carbone systématique ne porte pas sur un périmètre limité aux objets que sont les espaces publics, les bâtiments ou la consommation énergétique, mais sur un périmètre élargi qui intègre les questions de mobilité prévisionnelle et de mode de vie qui, jusqu’à présent, sont plutôt mis de côté dans ce type d’opération.

Ensuite, pour avoir un impact concret et direct, on s’est dit : « quels sont les leviers sur lesquels on peut agir pour abattre les émissions de carbone sur une période de référence donnée ? » On a appliqué cette logique sur l’ensemble des thématiques que je viens d’aborder, que sont la fabrication d’espaces publics, des bâtiments, l’énergie, la mobilité, le mode de vie, etc.

On a donc mis en place un projet de transition qui liste les actions concrètes que l’on met en œuvre pour l’ensemble des processus et des objets que l’on va livrer sur l’opération.

Cela fait quand même plus d’une centaine d’actions dans le projet de transition, que l’on ne pourra pas lister dans le cadre de l’interview.

Je peux citer par exemple le mode constructif. Dans les consultations qu’on a lancées, il y a un objectif de seuil carbone associé aux îlots. La RE 2020 est en vigueur, mais on a « affiné » le système, en faisant des hypothèses de seuil carbone par lots, en liaison avec des modes constructifs prévisionnels qu’on a attachés aux différents îlots. Il y a une ambition à la fois d’atteindre les objectifs performanciels par rapport à ça, mais aussi de construire avec les constructeurs et les acteurs de la chaîne de valeur, des données qui, pour une grande part des éléments de construction sont encore souvent manquants. Il y a des choses sur lesquelles on a beaucoup d’informations, et d’autres où il va falloir construire les choses avec les acteurs.

Et les seuils que vous visez, ce sont les seuils 2025 de RE 2020, si j’ai bien compris ?

Oui, si l’on veut, avec une vision globale. Mais cela me parait important d’insister, l’opération d’aménagement a fait l’effort de s’intéresser aux capacités des filières locales à répondre à un certain type de seuil, et on a adapté le niveau d’exigence à cette capacité.

Avec l’aide du bureau d’études Ingénéco Technologies, l’opération d’aménagement s’est intéressée au sujet de l’innovation et de l’assurabilité également, et à la capacité à faire du tissu en aval. Et en fonction de ça, on a fait le choix de flécher les modes constructifs.

Si l’on veut traduire cela en termes de seuils RE2020, globalement pour tous les bâtiments au-delà de R+4, on va aller plutôt vers de la structure poteau-poutre béton, façade ossature bois et des remplissages en biosourcés, ce qui nous amène à des seuils de l’ordre de 2025 de la RE2020.

En revanche, pour ceux qui sont en dessous de cette taille-là, on flèche tout de suite sur des constructions en structure bois, parce que le contexte assurantiel nous le permet. On est donc plutôt sur des seuils 2028.

Cette présentation se situe à un niveau macro, alors qu’à l’intérieur des fiches de lots, ce sera à appréhender plus finement lot par lot.

Les choix de mobilité qui sont faits par un aménageur, favorisant tel ou tel mode de transport, peuvent avoir un impact énorme en termes d’émission de gaz à effets de serre.

Vous indiquiez tout à l’heure que ce sujet avait été traité. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Vous avez raison. Quand on fait le bilan carbone d’une opération d’aménagement en ZAC, ce qui pèse le plus lourd, et de loin, c’est la mobilité et les modes de vie des habitants et usagers.

Il y a eu des choix extrêmement forts en termes de conception et de mise en œuvre qui ont été faits, pour passer d’une logique de parkings sous chaque immeuble à une logique de parkings mutualisés, et même très mutualisés. Pour le secteur Basse Île, secteur qu’on développe en premier, les stationnements ne se trouvent que dans deux parkings silos qui font environ 600 à 700 places chacun. Ça va aboutir à un quartier où pour aller chercher sa voiture, si on possède une voiture, on va parcourir jusqu’à 250 mètres. Il est démontré que l’habitant a tendance à faire d’autres choix de mobilité quand la voiture ne se trouve pas en bas de l’ascenseur, mais devient un service comme un autre. C’est un choix très fort qui a potentiellement un impact carbone très important.

Sur cette question, il y a dans le PLU, des obligations en nombre de places de parking par logements. Est-ce que vous respectez ces obligations, ou bien, avez-vous demandé des dérogations pour vous situer en-deçà ?

Il y a eu un travail de fond, notamment à l’occasion de la modification du Plan Local d’Urbanisme Métropolitain qui est en cours. Chacun peut constater que la Métropole change fortement la qualité de la desserte du périmètre sur Rezé, Pirmil étant extrêmement bien desservi par plusieurs tramways. Il est prévu l’arrivée de deux nouvelles lignes de tramway, d’une ligne de busway, un renforcement considérable de l’offre bus en liaison notamment avec l’apaisement de la route de Pornic.

Pour tenir compte de ce nouveau contexte et des ambitions de la ZAC, on a aligné le nombre de stationnements à créer, notamment par logements, sur les valeurs en vigueur sur l’île de Nantes.

Initialement, on était à 0,8 place, et pour les îlots qui sont en consultation aujourd’hui, on sera à 0,6 place de parking par logements. On ajoute une capacité d’abattement du nombre de places supplémentaires, liées à la mise en œuvre d’un service d’autopartage sur le quartier, qui permet d’abattre 15 % de places environ par rapport à ça.